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L'ART DU DISPOSITIF

BY SYENE & NICOLAS DELUGIN DUBOIS

Dispositif 1 – l’espace public

 

 

Depuis les années 80, à la suite de Michel Foucault, la question du dispositif traverse l’inconscient collectif. Et depuis, sans relâche, des penseurs de pratiques et d’horizons différents, se sont attelés à déterminer la nature et les multiples fonctionnalités de cette fabrication.

 

A la suite de Foucault, et en écho à sa réflexion, Gilles Deleuze énoncera la question, désormais récurrente, du « qu’est-ce qu’un dispositif ? » et après lui, Giorgio Agamben mettra également ce même questionnement obsessionnel en travail, dans le champ du pouvoir et du sociétal.

 

Ainsi, des philosophes aux sémiologues, en passant par les linguistes et les psychanalystes, cette question lancinante n’en finit pas d’interpeller, de mettre en demeure et en interrogation la pensée, le raisonnement et la réflexion.

 

Mais, qu’en est-il de cette structure, réelle ou virtuelle, de cet agencement qui modifie la supposée réalité ? Qu’en est-il de cette mécanique, de ce procédé destiné à transposer, à transformer le monde et, plus encore, à le révéler ?

Qu’en est-il, donc, du dispositif, de sa production et de ses effets ?

 

 

Dispositif 2 – l’espace du regard

 

 

Et c’est exactement en cet instant précis que l’acteur qui manque aux côtés des penseurs, que cet autre protagoniste questionne, à son tour, cette notion. A son tour, ou plus précisément, avant même les théoriciens et les penseurs. Tant il est vrai que, si nous lisons Barnett Newman, nous savons désormais que le premier homme était un artiste et qu’il est celui qui était là bien avant le philosophe !

 

Or, dès que l’on mentionne la réalité de ce premier homme, de ce producteur de sens et de signes, c’est aussitôt la question du regard qui est convoquée. La question du regard de l’artiste, du regard du modèle, la question du motif et la question du regard de l’œuvre qui nous regarde la regardant.

 

A la fin du 18ème siècle, Samuel et Jeremy Bentham imaginèrent le panoptique, une structure d’architecture dans laquelle on peut surveiller, observer et voir sans être vu : un dispositif dans lequel le regard est le centre de gravité absolu, dans lequel le regard est le pôle majeur.

 

C’est dans ce jeu de regard que Milthon se positionne et situe sa proposition en forme de piège. C’est dans ce jeu du regard qu’il met le spectateur en position de voyeur, jouant d’une manière délibérée sur l’une des dimensions inhérentes à l’art : la pulsion scopique.

 

 

Dispositif 3 – Les boîtes

 

 

L’une des définitions que le dictionnaire donne de dispositif est « piège destiné à tromper ou attraper quelque chose ou quelqu'un ».

 

Et c’est bien d’un piège particulier qu’il s’agit dans l’agencement spatial que Milthon nous propose: piège à regards, piège à émotions, piège qui provoque le trouble de ceux qui regardent.

 

Pour l’artiste, il s’agit donc de créer et de mettre en place un dispositif constitué d’une série de boîtes d’environ 20cm d’arête, afin d’y placer des personnages de résine, en position et en relation érotique.

C’est grâce aux dimensions des boîtes qu’un rapport de proximité, de contact et d’intimité s’instaure avec les personnages, boîtes et personnages que Milthon peints d’une gamme de couleurs très précises : bleu cobalt, rouge intense, blanc lumineux, orangé vibrant.

 

Or, dans ce dispositif, pour que le spectateur ait accès à la scène érotique, il manque un élément essentiel, à savoir, l’accès du regard. Par quelle voie la flèche du regard va t-elle pouvoir toucher les personnages ? Les débusquer ? Les révéler ? Les dévoiler ? Les surprendre ?

 

Cet accès du regard se fait par l’ouverture, la fente, la meurtrière. Et c’est donc en pratiquant une découpe en biseaux, en oblique, que Milthon crée des ouvertures qui orientent le regard en diagonale et qui modifie le point de vue en fonction de la position de celui qui regarde.

 

Dans l’architecture médiévale, les meurtrières sont liées à la guerre mais aussi à la vision puisqu'elles permettent de voir sans être vu. Dans le dispositif de Milthon, la meurtrière, la fente, ont pour fonction de limiter le spectateur à une vision fragmentée, et, selon sa position, le contraint à un angle de vue à chaque fois renouvelé.

 

 

Dispositif 4 – Les combinatoires

 

 

Le spectateur, tout en étant agit par Milthon et son dispositif, est, dans le même temps,  associé à ce même dispositif et, en paradoxe,  devient un  des éléments constitutifs de l’œuvre. Sans le regard du spectateur, rien n’advient et l’installation est inerte. C’est le regardeur qui fait l’œuvre, qui opère la mise en action d’une combinatoire et qui parachève la proposition de l’artiste.

Ainsi, le regardeur touche les boîtes, il touche les personnages. Il les déplace, les replace, les manipule. Il modifie la position des boîtes, il modifie les positions des personnages, créant des combinatoires, jouant des variations presque infinies.

 

Mais Milthon ne s’arrête pas là et amplifie les potentialités de son dispositif car, après avoir associé les spectateurs, son projet est d’associer d’autres artistes à sa création en leur permettant, à leur tour, de créer des personnages et de les présenter dans ses installations.

 

En décidant aussi d’y ajouter d’autres éléments comme, par exemple, des miroirs, surfaces réfléchissantes ayant pour effet de souligner la dimension voyeuriste autant que ludique et aléatoire du processus.

 

Dans ce véritable work in progress, Milthon nous permet de questionner l’image réelle, l’image mentale et le désir de voir. Il met en jeu l'idée de l'agencement d'une vision par la désignation de la place du spectateur et vise aussi à une certaine théâtralisation. Qu’il renforce en utilisant lumières et éclairage à l’intérieur de ses boîtes, créant comme un halo irréel qui permet de mieux voir.

 

 

Dispositif 5 – Le fragment

 

 

Les boîtes permettent donc le jeu, la tactilité, la manipulation et le secret mais elles permettent aussi la monstration : une monstration ciblée, déviée, orientée.

 

Ce dévoilement fragmenté, comme une exhibition segmentée, cette pulsion voyeuriste que Jacques Aumont, parlant de l’image au cinéma, définit comme étant le « besoin de voir et le désir de regarder », c’est précisément ce avec quoi Milthon joue. Et nous fait jouer.

 

Comme en résonance avec la révélation fulgurante de l’Origine du monde, avec la fragmentation du corps présenté et avec cet innommable qu’est l’intime, révélé par Courbet mais dissimulé derrière des rideaux par son commanditaire, Milthon manie le paradoxe du voilement/ dévoilement. Et de la fragmentation des sujets qu’il sculpte.

 

Les personnages qu’il propose à notre regard sont debouts ou presqu’allongés, dressés ou accroupis, en vertical ou en courbe, en positions parfois improbables mais toujours captivantes : autant de pièges à regard. Ces corps étirés, effilés, en torsion sinueuses, presque maniéristes, sont combinables sans limites. Ils sont combinables les uns aux autres sans tabous, homme avec femme, homme homme, ou femmes entre elles.

 

Mais les variations se jouent également au niveau des couleurs et des associations de tonalités éblouissantes surgissent, inattendues.

 

Le dispositif mis en place par l’artiste ne permet jamais de saisir les personnages dans leur totalité. Ils ne sont jamais visibles dans leur globalité mais apparaissent en fragment, sous un angle ou un autre, en oblique ou en frontal mais toujours en fractions. On ne les saisit jamais dans leur posture totale mais on ne surprend qu’une partie du mouvement ou de l’entrelacement des corps.

 

 

Dispositif 6 – Le jeu

 

 

Dans cet univers de l’intime et de l’universel, dans cet emboîtement des regards et des corps que Milthon nous révèle, ce qui apparaît comme élément récurrent c’est la relation de l’ouverture, de la lisière, de la fente et de l’œil, à l’objet regardé.

 

Mais c’est aussi la dimension ludique, le hasard et l’aléatoire qui met l’artiste en travail et en réflexion et qui lui permet de nous inscrire, nous qui regardons, dans son dispositif dont nous devenons les acteurs. Et dans lequel nous agissons autant que nous sommes agis.

 

Comme en écho  aux corps de Bellmer ou aux boîtes de Cornell, et tout en affirmant fortement son propre système, Milthon nous offre des possibilités de jeu et des combinatoires sans limites.

 

Il nous offre la possibilité du toucher et le rapport au tactile que l’art nous interdit. Et,  s’inscrivant dans la lignée des artistes ayant misé sur le jeu, il nous projette à la fois dans la dimension de l’érotique et dans celle de l’enfance. Processus dans lequel il s’inclut et par lequel il partage la pulsion scopique et le désir de voir qui nous habite tous.

 

 

 

  Gaya GOLDCYMER

 

  Paris , Novembre

2012

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